Extraites d’Insomnia (2002), les séquences se déroulent à Nightmute en Alaska
au nord du cercle polaire arctique. Le soleil de minuit, cette période de juin
à septembre au cours de laquelle le soleil ne se couche jamais, y imprime sa
marque sans déranger le sommeil des habitants de cette petite ville, sauf un. L’inspecteur
Will Dormer (Al Pacino, une fois de plus renversant) a été envoyé de Los Angeles sous ces hautes
latitudes pour enquêter sur le meurtre d’une jeune adolescente. Mais ce
policier présenté comme un modèle d’efficacité est en fait sous le coup d’une
enquête disciplinaire concernant une sombre affaire de fabrication de preuves
dans un dossier criminel. Sur les traces
du meurtrier Walter Finch (Robin Williams, parfait et étonnant dans un rôle à
contre-emploi), Will Dormer tue (accidentellement ?) son collègue Hap Eckart
(Martin Donovan) qui était sur le point de dénoncer à sa hiérarchie ses
méthodes controversées. Pris en tenaille entre Finch qui le manipule et une inspectrice
locale (Hillary Swank, solaire) qui
trouve la mort de Hap de plus en plus suspecte, Will est un personnage
perdu qui erre dans les rues désertes de Nightmute. La clarté du jour continu combinée
à l’étau qui se resserre autour de lui l’empêchent de trouver le sommeil.
L’espace géographique et sa position en latitude ont rarement été au cinéma des
personnages à part entière et Christopher Nolan joue avec cette lumière
obsédante enveloppant une ville perdue au
milieu de nulle part. Les immenses forêts, les glaciers et les lacs omniprésents
renvoient aux romans de David Vann (1) et forment autant de repères hors norme dans
cette immensité toujours sauvage, cette «Terre
du soleil de minuit» encore peu domestiquée. Les montagnes escarpées aux
sommets enneigés écrasent de leur majesté la rue principale et réduisent Will à
une figure errante, cherchant à fuir son passé mais bientôt rattrapé par son
futur. Will serait un Vincent Hanna (le flic interprété déjà par Al Pacino dans
Heat de Michael Mann/1995) qui aurait mal tourné, aveuglé par sa puissance
parce qu’il se croit intouchable. La gérante de l’auberge dans laquelle Will
tente désespérément de dormir lui dit que « seules deux sortes de personnes
vivent en Alaska : celles qui y sont nées et celles qui viennent ici pour
fuir quelque chose». Ses déambulations diurnes au milieu d’une population
endormie soulignent sa fêlure et son déséquilibre. Incontestablement,
cette part d’ombre de Will l’isole de
ses collègues et le rapproche du même coup du criminel qu’il pourchasse. Pour
Will Dormer, la devise de l’Alaska, «Le
Nord vers l’Avenir» n’a jamais aussi mal porté son nom.
(1) Sukkwan Island de David Vann
aux Éditions Gallmeister (2010)
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