Bien avant que le selfie ne
devienne aujourd’hui cette exaspérante autoproclamation de l’amour de soi-même,
Ridley Scott, devançant le monde entier, l’avait mis en scène en 1991 dans Thelma et Louise. Deux jeunes femmes,
Thelma (Geena Davis, à droite) et Louise (Susan Sarandon, à gauche) décident de
partir en villégiature le temps d’un week-end,
délaissant momentanément leurs vies monotones et sans relief. Thelma,
naïve et écervelée, est mariée à un ectoplasme, un tyran domestique incarnant avec fatuité le revers du rêve
américain (la réussite professionnelle en dépit de son caractère inculte et
borné, une voiture rutilante, une maison individuelle dans une banlieue bien
proprette, une femme au foyer, soumise et fondamentalement malheureuse) alors
que Louise incarne une femme apparemment plus libre, plus mûre, plus réfléchie
mais qui se morfond dans son travail de serveuse. Au moment du départ, et à
l’aide de son appareil photo, Louise fige ce moment de bonheur sincère mais
forcément éphémère. Les deux jeunes femmes savent que leur retour les
replongera dans leur morne quotidien, aussi, décident-elles de jouir pleinement
de ces instants de liberté arrachés aux pesanteurs sociales. Souriant à pleines
dents et parées de leurs meilleurs atours, elles impriment sur la pellicule leur
amitié et leur désir d’évasion en dépit de leurs caractères très dissemblables.
Jeu de miroir entre réalité et imaginaire, cette photographie sera le prélude
d’une prise de conscience – particulièrement pour Thelma – d’une émancipation à
laquelle elle n’aurait jamais pensé sans le concours de Louise et des
événements qui vont suivre. Narcisses revendiquées, Thelma et Louise proclament
à la face du monde qu’elles sont autre chose qu’une épouse soumise au
patriarcat et qu’une serveuse attachée à
son restaurant. Mais sans le savoir, elles viennent de franchir une
frontière séparant un espace statique et conventionnel (la maison de Thelma et
le travail de Louise) d’un autre, ouvert et incertain (la route qui doit les
mener au Mexique après un drame qui fait basculer le film). La séquence est la
représentation même du buddy movie (film de copains) sur lequel va se superposer
un road movie puisque la voiture deviendra le vecteur et l’expression de leur
liberté mais aussi de leur malheur.
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