L’action se déroule en 1926 en
Chine en pleine guerre civile qui oppose les forces communistes aux
nationalistes de Tchang Kaï-chek. Symbole de la présence étrangère, une
canonnière américaine, le San Pablo, patrouille sur le fleuve Yang-Tsé Kiang
(aujourd’hui, Chang Jiang) pour protéger les intérêts et les ressortissants du
pays de l’Oncle Sam. Devant les tensions grandissantes, le capitaine de la
canonnière, Collins (Richard Crenna, à droite) se rend à la mission Lumière de Chine pour évacuer son responsable
Jameson (Larry Gates à gauche) et son institutrice Shirley Eckert (Candice
Bergen, au centre). Le champ-contrechamp et les dialogues que s’échangent les
deux hommes illustrent le point de vue du réalisateur Robert Wise.
Collins : - Mon devoir est de vous protéger.
Jameson : - Nous nous sommes déclarés apatrides. Nous
avons envoyé nos noms à Genève.
Collins : - C’est impossible.
Jameson : - Nous avons renoncé à notre nationalité. Nous
ne relevons plus de votre autorité ni de votre responsabilité. Nous avons
convaincu les gens qu’il n’y a aucun rapport entre nous et les canonnières.
Vous nous mettez en danger.
Collins : - Ils vous tueront. On s’entretuera, il est
trop tard pour de telles subtilités.
Le propos est subversif et la
métaphore limpide. La Canonnière du Yang-Tsé
(The Sand Pebbles/1966) dénonce de manière vitriolée l’impérialisme américain
et son ingérence non pas en Chine, mais au Vietnam. Le refus de Jameson de suivre le capitaine
Collins est une humiliation pour ce dernier figé dans sa raideur, son
incompréhension et son uniforme immaculé. Collins incarne l’armée américaine
droite dans ses bottes face à des civils qui lui échappent et qui préfèrent
devenir apatrides plutôt que de se mettre sous la protection du drapeau
américain. Le propos peut apparaître, au moment où est tourné le film,
iconoclaste en raison du soutien majoritaire de l’opinion publique aux
bombardements massifs menés par l’aviation américaine au Nord-Vietnam en 1965
et 1966. Au nom de la lutte contre le communisme mondial, la nation adhère donc
à l’intervention armée dans cette partie du sud-est asiatique. À ce moment, la
contestation des étudiants contre l’intervention américaine dans le Sud-est
asiatique reste encore minoritaire mais va peu à peu se renforcer. Dès 1967,
sur les campus universitaires, des insoumis préféreront brûler leurs livrets
militaires plutôt que de partir se battre pour une cause qu’ils ne
reconnaissent pas. Le nationalisme et la fidélité à la bannière étoilée se
désagrègent inexorablement. Le point de vue de Robert Wise, violemment
anticolonialiste et fondamentalement humaniste et pacifique reste néanmoins
désenchanté et amer puisque Jameson et Collins mourront de mort violente
rendant la neutralité impossible et l’interventionnisme en terre étrangère condamnable. Deux ans
avant l’offensive du Têt (1968) menée par le Viet Cong et l’armée
nord-vietnamienne, qui contribuera à faire basculer l’opinion publique
américaine de plus en plus hostile à la politique de Lyndon Johnson, le
réalisateur fait preuve d’une grande lucidité. Daniel Grivel et Roland Lacourbe
(1) disent que l’œuvre « fut
hargneusement attaquée, aussi bien par la droite que par la gauche. Les uns la
taxant de scandaleuse et déshonorante pour l’armée américaine, les autres
jugeant son propos naïf et réactionnaire ou pour le moins démobilisateur. Alors
que l’intention manifeste du réalisateur
avait été de ne ménager personne : ni les Américains, ni les communistes,
ni les nationalistes». Cinquante ans plus tard, La Canonnière du Yang-Tsé
reste un film passionnant.
De gauche à droite: Steve McQueen, Candice Bergen et Richard Crenna
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