Les deux plus grands épilogues de
l’histoire du cinéma appartiennent à La Planète des singes (Planet
of the Apes de Franklin J.Schaffner, 1968) et à Je suis un évadé (I am a
Fugitive from a Chain Gang de Mervyn
LeRoy, 1932). Dans ce dernier film, Paul Muni (ici, au regard halluciné) incarne
un ancien combattant de la Première Guerre mondiale de retour au pays.
N’arrivant pas à se réinsérer dans la société, il se laisse entraîner dans un
casse qui tourne mal et finit condamné à dix ans de travaux forcés. Une lente
descente aux enfers commence alors pour lui …….
La séquence dure 1’24 mais imprime
la rétine du spectateur de manière indélébile. James Allen (Paul Muni, donc)
est en cavale et s’extirpe des ténèbres pour délivrer un message d’adieu à
Helen (Helen Vinson), la femme qu’il aime. Mal rasé, les yeux hagards et revêtu
d’une chemise, d’un costume et d’un feutre élimés encadrant une cravate noire
lui rappelant sa vie d’avant le bagne, James Allen est aux abois. Il vient de
s’évader du bagne et se sait pourchassé. Extrêmement nerveux et constamment sur
le qui-vive, il sursaute au moindre bruit qui transperce l’obscurité
environnante. Ses paroles frénétiques d’animal traqué résonnent sinistrement
alors qu’Helen tente en vain de le retenir. La tension dramatique de cette
image est transmise par l’éclairage qui fige, dans une large zone d’ombre, le
visage de James, dévoilant non seulement son expression désespérée mais aussi
la destinée de cet homme, broyé par la société et ses institutions judiciaires
et pénitentiaires, et voué à la marginalité. En cette année de 1932, Paul Muni
incarne dans une construction en miroir deux rôles qui pervertissent le rêve
américain ; Scarface (Scarface de
Howard Hawks), gangster flamboyant parvenu à la réussite par le meurtre et la
corruption et James Allen, ancien soldat condamné pour un crime qu’il n’a pas
commis et pour lequel la justice persiste à ne pas avoir les yeux bandés. Bien
que se déroulant au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’itinéraire de
cet homme, déchu de ses droits, fait forcément écho aux années noires de la
Grande Dépression des années 30 que traversent à ce moment les États-Unis. À
l’instar de milliers de laissés-pour-compte jetés sur les routes par le chômage
et la misère, James Allen est devenu un paria rejeté dans l’ombre. Cette
séquence d’une esthétique foncièrement pessimiste, ne doit son existence
qu’à un fusible récalcitrant qui avait
sauté, plongeant ainsi le studio Warner dans l’obscurité. La noirceur – dans tous les
sens du terme – de la scène avait semble-t-il plu à Darryl F. Zanuck,
l’omnipotent producteur du film. La séquence fut gardée.
Paul Muni
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