Le Locataire (1976) est probablement le film le
plus terrifiant de Roman Polanski. Adapté du roman de Roland Topor, Le Locataire chimérique, il raconte une
tranche de vie d’un dénommé Trelkowsky (Roman Polanski) qui décide d’emménager
dans un appartement parisien dont la précédente locataire, Simone Choule, s’est
suicidée. Malhabile, timide, emprunté dans ses gestes, en butte avec
l’agressivité quotidienne de ses voisins, Trelkowsky va progressivement sombrer dans une paranoïa aigüe tout en étant
persuadé que ces mêmes voisins veulent le pousser au suicide. L’abîme qui
s’ouvre devant lui s’accompagne d’une lente dépossession schizophrénique de son
corps et de son esprit pour mieux s’identifier à Simone Choule dont tout le
monde se plaît à lui rappeler les gestes et les habitudes quotidiennes. Ici, la
transformation vient de s’achever. Après avoir revêtu une robe de Simone, chaussé une de ses paires de
chaussures à talon et acheté une
perruque, Trelkowsky (mais peut-on encore évoquer son nom puisqu’il est devenu
Simone ?) s’est assis devant la fenêtre funeste, à partir de laquelle la
précédente locataire s’est jetée dans le vide. La photographie, signée Sven
Nykvist, le chef-opérateur d'Ingmar Bergman, donne une perception angoissante
et lugubre de l’appartement qui s’apparente à celui de Répulsion (1965), un précédent film de Roman Polanski. L’éclairage
rasant donne à l’image une dimension
crépusculaire. La configuration étriquée de la pièce renforce la solitude et
les hallucinations du personnage enfermé dans son délire de persécution. Une
lampe de chevet éclairée, un lit, une chaise, une table, une autre lampe, un
fauteuil et un tapis défraîchi complètent, dans une semi-obscurité, le décor
réduit à sa plus simple expression. Et dans une centralité parfaite, vu de dos,
immobile et silencieux, mais dans un silence assourdissant qui s’apparente au
Cri d’Edvard Munch, Trelkowsky, dépossédé de son
existence propre, se retrouve face à ses démons intérieurs. La fenêtre n’est
plus une ouverture mais l’expression de son trouble psychotique, tout comme la
perruque ou les vêtements de Simone. À l’instar d’Orson Welles qui avait
l’habitude depuis Citizen Kane (1940)
de tout filmer dans le plan de manière nette, Polanski intègre grâce à une
longue profondeur de champ, tous les éléments bien visibles de sa séquence: un
appartement miteux, des objets qui nous renvoient à notre vie quotidienne, un
locataire dont le regard nous est caché mais qui fixe, sans aucun doute,
intensément et de manière hypnotique, cette fenêtre. La mise en scène de Roman
Polanski s’apparente ici à une plongée en apnée dans un cauchemar éveillé qui
est sur le point de trouver son épilogue. Vilipendé de manière incompréhensible
au moment de sa sortie, Le Locataire
est devenu avec le temps, ce qu’il a toujours été, un très grand film.
Roman Polanski
Le Cri d'Edvard Munch (1893)
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