Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game, 1932) est doté
d’un scénario exceptionnel. Un aristocrate russe, le comte Zaroff (Leslie
Banks, superbe) grand chasseur de fauves, ayant fui la révolution bolchévique,
se réfugie sur une île déserte pour recueillir tous les naufragés qui auraient
eu le malheur de naviguer trop près des récifs qui bordent son île. Insatisfait
et lassé par la chasse aux animaux, il organise des traques contre le seul
gibier qui lui procure encore des sensations; l’homme. Bob Rainsford (Joel
McCrea) et Eva Trowbridge (Fay Wray) sont les nouvelles victimes de ce
prédateur d’un type nouveau, aussi raffiné et excentrique que meurtrier et
machiavélique. Les décors, entièrement reconstitués dans les studios de la RKO
Radio Pictures, vont servir au tournage simultané d’un autre film, appelé à
passer à la postérité cinématographique, King
Kong (1933) du même Schoedsack, mais avec, cette fois-ci, la collaboration
de Merian C. Cooper et la même Fay Wray dans le rôle d’une autre héroïne
malmenée par un monstre d’une espèce différente.
Cette jungle reconstituée, qui ne
se veut pas réaliste, doit agir de telle
manière qu’elle génère en nous un retour à la barbarie et aux peurs primaires
de notre inconscient : île non répertoriée sur les cartes, absence de
civilisation, espace végétal hostile et impénétrable, marais peuplés de
crocodiles, brouillard anxiogène, précipices vertigineux, grottes mystérieuses,
falaises battues par les vagues déchaînées, c’est toute notre imagination qui
est mise à contribution. De l’Île au
trésor de Robert Louis Stevenson (1883) au Monde perdu d’Arthur Conan
Doyle (1912), en passant par Les Mines du roi Salomon d’Henry Rider
Haggard (1885), la littérature fourmille de ces lieux qui défient l’imagination,
nous sortent de notre confort moderne et nous transportent dans des contrées
exotiques lointaines et mystérieuses. Ces romans – ainsi que la nouvelle de
Richard Connell, The Most Dangerous Game (1925) - vont directement inspirer les
cinéastes, particulièrement au moment où la crise de 1929 fait rage aux
États-Unis. Le message est alors explicite au pays du capitalisme; celui qui
survit à l’adversité est celui qui s’adapte à son nouvel environnement. Bob
Rainsford, les deux pieds bien calés dans la fange marécageuse a le regard
déterminé de celui qui veut vendre chèrement sa peau. Tenant solidement son
poignard, il dirige son regard vers un hors-champ salvateur, tout en soutenant
à bout de bras Eve, son infortunée compagne, qui elle, tourne son regard en
arrière, vers le danger symbolisé par une meute de chiens lancée à leurs
trousses et dirigée par le comte sanguinaire, cet ogre terrifiant qui court à
grandes enjambées à travers le brouillard épais qui enveloppe chasseur et gibier. L’atmosphère
est poisseuse et délétère, révélatrice des angoisses humaines face à l’inconnu.
Les années 30 vont être propices à l’apparition sur les écrans de monstres qui
vont hanter jusqu’à nos jours tous les films fantastiques, particulièrement
américains; outre Zaroff, d’autres personnages ou créatures comme Dracula, Frankenstein,
King-Kong, l’Homme invisible ou encore des médecins déjantés comme les docteurs
Jekyll ou Moreau ont été et restent des êtres hors normes, victimes de leur
folie ou de leur perfidie. Seul King-Kong saura se montrer plus humain que les
chasseurs qui le pourchassent.
Leslie Banks
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