jeudi 28 février 2019

L'ombre et la lumière chez William A. Wellman



La Ville abandonnée (Yellow Sky, William Wellman, 1948) bénéficie d'un noir et blanc particulièrement soigné dont tout le mérite revient encore une fois au directeur de la photographie Joseph MacDonald. Celui-ci s'était déjà illustré aux côtés de John Ford (La Poursuite infernale/My Darling Clementine, 1946), de Henry Hathaway (Appelez nord 777/Call Northside 777, 1948) et de William Keighley (La Dernière rafale/The Street with No Name, 1948). Du film noir au western, il a su tirer le meilleur parti des ambiances crépusculaires, des contrastes entre l'ombre et la lumière et des éclairages entre chien et loup. La caméra surprend ici Dude (Richard Widmark) en train d'épier James Dawson (Gregory Peck), Constance Mae (Anne Baxter) et son grand-père (James Barton) réunis dans la chambre d'une masure perdue à la périphérie d'une ville fantôme, Yellow Sky, en plein désert. Deux sources de lumière encadrent son visage, alors que le reste du corps reste tapi dans l'ombre. La première provient de l'intérieur de la pièce et éclaire d'une lueur blafarde ses yeux sournois et son rictus mauvais. La deuxième éclaire les reliefs rocheux et le désert à l'arrière-plan dont les contours témoignent d'une géographie âpre et tragique, hostile à l'homme. L'éclairage rasant qui passe par la fenêtre rend Dude encore plus menaçant. La menace ainsi créée est redoublée par la composition de l'image : celle-ci est formée de taches d'ombres et de lumières établissant une tension dramatique entre ce qui se lit sur les traits de Dude et les formes (le cadre de la fenêtre, les contours arrondis des rochers, la balustrade), donnant à l'ensemble une cohérence esthétique dont la monochromie ne fait que révéler l'âme noire du hors-la-loi. C'est donc bien par des affinités resserrées entre le décor objectivement présenté et la subjectivité sournoise de Dude que Joseph MacDonald tisse sa trame photographique. Le visage aux trois-quarts éclairés de Dude suggère également la duplicité du personnage, complice de James pour l'instant mais désireux de se débarrasser de lui pour faire main basse sur l'or que le grand-père et sa fille ont extrait de cette nature sauvage. Cette duplicité se lit jusqu'à son nom Dude, qui dans le western désigne plutôt le pied-tendre, l'homme ordinaire, mal assuré, sans expérience et fraîchement débarqué dans cet Ouest américain sans foi ni loi. Or, le Dude de Wellman est tout le contraire : bandit de grand chemin, fourbe et cruel, totalement déshumanisé et au diapason de cette nature inhospitalière, il fait penser au tueur psychopathe, Tommy Udo (déjà interprété par Richard Widmark dans Le Carrefour de la mort/Kiss of Death, Henry Hathaway, 1947) (1). Dans ce plan, tout semble figé et l'intensité dramatique déployée immobilise Dude, tout en force retenue, dans un espace et une durée qui précédent l'affrontement. Si le noir et blanc sied particulièrement à Joseph MacDonald, la couleur et le cinémascope lui permettront également de déployer toute sa science de la photographie. Rio Conchos (Gordon Douglas, 1964), La Canonnière du Yang-Tsé (The Sand Pebbles, Robert Wise, 1966) ou encore son dernier film L'Or de Mackenna (Mackenna's gold, Jack Lee Thompson, 1969) lui fourniront l'occasion de magnifier des espaces dans lesquels notre œil pourra se noyer.

(1)  Voir la chronique Le sadisme chez Henry Hathaway 



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