vendredi 7 avril 2017

Les cactus et le désert chez Jonas Cuaron


Dans Desierto (2015), Jonas Cuaron filme des Mexicains clandestins passant la frontière états-unienne quelque part dans le désert de Sonora, au sud de la Californie. Pris en chasse par Sam (Jeffrey Dean Morgan, glaçant), un red neck halluciné, nationaliste et raciste qui ferait passer Hannibal Lecter pour un servant de messe, ils meurent tous les uns après les autres, abattus par les balles du sniper. Sur le modèle des Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game, Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932), Sam est un amoureux des bergers allemands, des armes à feu et de la chasse au gibier humain, particulièrement quand il est Mexicain. Moises (Gael Garcia Bernal, visible de dos sur le photogramme) est l’un des derniers survivants de la traque qui se déroule sans discontinuer sur une terre sauvage et immense, un espace désertique particulièrement inhospitalier, une étendue répulsive constituée de cactus, de poussière, de sable, de roches et de massifs montagneux qui bloquent l’horizon. Alors que Sam vient de lancer son chien à ses trousses et face à cette forêt de cactus qui se dresse devant lui, Moises semble implorer une ouverture des « eaux » bien illusoire. Cerné par ces plantes xérophytes bardées d’épines, Moises comprend rapidement qu’il peut faire de cet obstacle végétal, un refuge pour se protéger des crocs de l’animal rendu fou par l’odeur du sang répandu par ses précédentes victimes. Dans le silence du désert, entre néo-western et thriller, Jonas Cuaron reprend en l’actualisant plus que jamais, le thème de la frontière, espace de passage ou de fermeture, si souvent représenté dans le cinéma américain. Lone Star (John Sayles, 1996),Traffic (Steven Soderbergh, 2000), Trois Enterrements (Tommy Lee Jones, 2005), No Country for Old Men (Les frères Coen, 2007), Frontera (Michael Berry, 2014) et Sicario (Denis Villeneuve, 2015) subliment d’abord un territoire désolé évoquant une fournaise infernale, traversé au XIXe siècle par les flux migratoires des colons venus peupler la façade Pacifique des États-Unis. Mais aujourd’hui, ce paysage naturel est dénué de la valeur mythique que lui conférait autrefois le western classique. Ce n’est plus un espace de liberté et de conquête préfigurant la naissance d’une nation, mais un lieu d’affrontement culturel, linguistique et économique sans merci.  Contrôler le désert est une question de pouvoir et de domination : consultant de temps à autre des cartes, Sam s’y déplace en maître, quasiment les yeux fermés, alors que Moises avance les yeux grands ouverts, mais dans l’inconnu et sans aucun repère. La beauté et la sécheresse du paysage ne sont plus propices à la contemplation, mais elles rendent plus terrible et plus tragique le drame que vivent des milliers de Mexicains, cherchant l’Eldorado sur une terre qui ne veut plus d’eux. Ce pessimisme noir contamine tout le film et le propulse sur un terrain explicitement politique, faisant de l’Autre – le Mexicain – un homme à abattre.


Aucun commentaire:

Publier un commentaire