mardi 11 avril 2017

La neige chez André de Toth


En dépit des grands espaces du Wyoming, du froid glacial et du blizzard qui enveloppent tous les protagonistes de l’histoire, La Chevauchée des bannis (Day of the Outlaw de André de Toth/1959) est un film fiévreux et oppressant. Au Wyoming donc, un groupe de hors-la-loi pourchassé par la cavalerie américaine fait irruption dans un village coupé du monde par la neige pour y séjourner quelques jours, le temps de reprendre des forces. Pour préserver la population des turpitudes du gang, un éleveur de bétail, Blaise Starrett (Robert Ryan) propose de guider les bandits à travers la montagne pour franchir un col qui leur permettrait de s’enfuir. Mais cette odyssée se transforme rapidement en chevauchée suicidaire, au cours de laquelle tous les cavaliers finissent par mourir, à l’exception de Blaise Starrett (visible, de dos et à cheval) et de Tex (Jack Lambert), en train d’agoniser sur un promontoire rocheux, sa winchester à la main, terrassé par le froid et les morsures du gel qui paralysent progressivement son corps. Un mouvement de grue et l’élévation de la caméra au-dessus d’un paysage âpre et inhospitalier donnent en plongée, toute la mesure de l’affrontement final entre les deux hommes. Mais André de Toth renonce au duel classique, au face à face entre deux hommes, aux six-coups prêts à être dégainés à la vitesse de l’éclair. Préfigurant la mort imminente de son adversaire, Blaise Starrett, s’éloigne, recroquevillé sur son cheval qui avance péniblement dans l’épaisseur profonde de la neige. Des rochers dispersés et déchiquetés, ainsi qu’une forêt de sapins à l’arrière-plan, servent de témoins muets à la dramaturgie qui trouve dans ce décor angoissant son épilogue. Le silence des Rocheuses fige encore davantage cette étendue glacée recouverte par le manteau neigeux qui rend plus difficile le déplacement des hommes et des animaux. Jack, quant à lui, vient de passer une nuit dans l’anfractuosité d’un rocher avec, comme seule protection, son manteau. Mais au réveil, ses mains gelées, saisissant avec difficulté sa winchester sont incapables de presser sur la détente. Il marche, tombe, se relève, rechute et rampe pour tenter d’abattre Blaise Starrett. Le froid engourdit petit à petit tout son corps rendant sa reptation aussi douloureuse qu’illusoire. Son corps finit par s’immobiliser avant d’atteindre le sommet du promontoire pour ne former qu’une vague silhouette, prête à être dévorée par les loups.  Présenté pendant le film comme un dégénéré concupiscent, Jack meurt comme il a vécu, misérable, rempli de haine, seul et prédestiné à ne pas savourer une retraite bien méritée. Alors que pendant tout cet exode hivernal, la profondeur de champ était extrêmement réduite par le blizzard, l’horizon s’éclaircit subitement au petit matin, dans l’air calme et immobile, pour laisser les rayons du soleil éclairer la scène d’une lumière spectrale. Désormais, seul survivant de l’expédition, Blaise Starrett peut rejoindre l’îlot de civilisation qu’il a laissé derrière lui. Crépusculaire, noir et fondamentalement pessimiste sur la nature humaine, le film d’André de Toth dépeint un univers de violence où la rédemption n’a plus sa place. Seules comptent la brutalité, la survie, la mort reçue et donnée. Succédant à Track of the Cat de William Wellman (1954), La Chevauchée des bannis servira de matrice à de nombreux westerns hivernaux dont les plus proches dans la noirceur sont John McCabe (McCabe et Mrs Miller de Robert Altman/1971), Les 8 Salopards (Hateful Eight de Quentin Tarantino/2016) ou encore Le Revenant (The Revenant de Alejandro Inarritu/2016).


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