jeudi 27 avril 2017

Le champ de bruyère chez Robert Parrish



Dans Libre comme le vent (Saddle the Wind/1958), deux frères, Steve (Robert Taylor de dos) et Tony Sinclair (John Cassavetes, face à lui) se retrouvent dans cette figure imposée du western : le duel et la catharsis qui s’y rattache.  L’échelle des plans utilisée accentue le décalage entre le cadre et les personnages qui y évoluent. À gauche de l’image, filmé en plan américain (à la hauteur du colt), Steve est en position de force. Il domine son frère Tony réduit, par la profondeur de champ, à une silhouette minuscule, lointaine et fragile. Les deux frères se positionnent dans un plan général (photogramme 1) qui a toujours une valeur descriptive, cadrant une topographie tout à fait originale et rarement utilisée dans un western: ce ne sont ni les hommes, ni  le versant très accentué de la colline, ni cette plaine qui s’étend à perte de vue en contrebas et encore moins les montagnes du Colorado à l’arrière-plan qui attirent notre regard, mais ce qui focalise notre attention est ce champ de bruyère, bucolique et tranquille qui encercle les deux protagonistes. Très éloignées des décors arides et montagneux symbolisant l’âpreté de la Conquête de l’Ouest et la difficile synergie entre l’homme et la nature, ces plantes tapissantes d’un rose très prononcé et d’une douceur ouateuse s’étendent à perte de vue tout en servant d’écrin romantique à un face-à-face fratricide. Le premier de la fratrie est un hors-la-loi repenti, cherchant à oublier son passé tumultueux en travaillant au service d’un cattle baron, Dennis Denneen (Donald Crisp). Son jeune frère Tony est, quant à lui, un chien fou immature, rétif à toute discipline, hystérique, rebelle et explosif mais qui vénère Steve comme si celui-ci était son père. Les dérives sanguinaires de Tony et les cadavres qui s’amoncellent poussent Steve à mettre fin à ce cycle de la violence. Pourtant le propos de Robert Parrish n’est pas seulement de filmer un gunfight dans un cadre original, mais aussi de présenter, hors-champ, le deuxième suicide de l’histoire du western (le premier se situait dans Les Rebelles de Fort Thorn /Two Flags West de Robert Wise/1950) (1).  Refusant de tirer contre son frère, Tony préfère se suicider en retournant l’arme contre lui. Son corps gît au milieu des bruyères au moment où Steve parvient à sa hauteur (photogramme 2). Encore une fois, la douceur du paysage contrebalance la tragédie et donne une dimension émotionnelle à la scène. Fauché avant la fleur de l’âge, Tony n’est plus que ce cadavre qui finit par se confondre avec l’efflorescence environnante qui lui sert d’ornement mortuaire. Les démons intérieurs de Tony ont fini par le submerger et sa mort lui donne paradoxalement une dimension humaine et un statut de victime. L’amour pour son frère a été supérieur à toute autre considération. Tous ces éléments narratifs sont donc mis au service d’une esthétique particulièrement soignée et d’un lyrisme aussi débridé qu’échevelé. Libre comme le vent est un très grand western.

(1)  Voir mon article sur le suicide chez Kevin Costner


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