dimanche 25 avril 2021

L'éducation chez Vincente Minnelli

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Dans Celui par qui le scandale arrive (Home from the Hill, 1960), Vincente Minnelli dissèque de manière impitoyable une famille texane tragiquement dysfonctionnelle. Dans cette pièce, qui tient plus d’une salle de trophées que d’un salon littéraire, le mari, Wade Hunnicutt (Robert Mitchum, au centre dans les deux photogrammes) se retrouve face à son fils Theron (George Hamilton, à gauche dans le photogramme 1 et à droite dans le photogramme 2) et sa femme Hannah (Eleanor Parker à gauche dans le photogramme 2). Riche propriétaire terrien et époux volage, Wade ne partage plus rien depuis longtemps avec Hannah, si ce n’est de vivre sous le même toit, dans deux chambres séparées. À ce moment-ci du film, il vient de décider de reprendre en main l’éducation de son fils jusqu’à présent élevé par son épouse. Et pour le patriarche, seigneur et maître de la région, on ne peut devenir un homme qu’à trois conditions :  maîtriser une arme à feu, participer à une chasse au sanglier, rite initiatique indispensable pour mériter le respect d’autrui, et, enfin, faire chavirer sans retenue le cœur des femmes. Pour le moment, il s’agit surtout de chasse. Wade incarne la masculinité triomphante, assumée et revendiquée. Toute son attitude est associée au décor du bureau pour confirmer l’aspect dominateur de cet homme, sûr de sa force et de son pouvoir. Entouré de ses chiens et confortablement installé dans un fauteuil en cuir, Wade tient une bière dans sa main droite, le pied posé sur la tête d’une peau d'ours étendue sur le sol. Ses bottes de cowboy renvoient à la culture du Texas et à sa nostalgie de l’Ouest sauvage qui s’accorde avec les fusils qui rayonnent sur le mur et le rouge flamboyant du cuir du fauteuil. Une autre tête de sanglier accrochée au mur au-dessus du foyer est là, tout autant pour célébrer son penchant certain pour la taxidermie que pour revendiquer une virilité proportionnelle à la dangerosité du gibier qu’il a chassé. Son fils Theron, jeune éphèbe naïf et candide, est sur le point de quitter l’âge de l’innocence en venant de s’emparer d’un fusil qu’il brandit fièrement devant sa poitrine. Il a quitté sa collection de papillons, ses livres et son télescope pour tirer, à la demande de son père, dans l’âtre. Aussi fier qu’Artaban, il toise avec un sourire narquois sa mère, venue précipitamment en entendant le coup de feu, pour bien lui signifier que les choses sérieuses allaient bientôt commencer. Encore revêtue d’une robe de chambre, Hannah, quant à elle, ne peut que subir, impuissante et amère, cette nouvelle béance qui s’ouvre en elle : elle avait déjà perdu son mari, là elle vient de perdre son enfant. Une vie entière de concessions et de rêves perdus en échange de l’éducation de son fils vient d’être annihilée d’un seul coup de feu. Dans cette séquence, de manière fulgurante et lyrique, Vincente Minnelli ne joue pas la pudeur, mais concentre violemment tout un spectre de frustration, de rancoeur, de nostalgie, mais aussi d'espérance traversant trois êtres qui s’affrontent et se déchirent autour d’un conflit décisif : l’éducation de Theron qui n’est rien d’autre que la prolongation de la place d’un individu dans la société, un individu civilisé, sensible et éduqué pour Hannah, sauvage, autoritaire et viril pour Wade. Mais cet antagonisme éducatif n’est que le reflet de la détestation qu’Hannah voue à Wade, coupable d'avoir eu autrefois un enfant adultérin avec une autre femme. Pris entre deux feux, Theron est déchiré par cette structure familiale toxique qui rend inévitablement son apprentissage autodestructeur. Cinéaste du mal-être et des passions humaines, Vincente Minnelli filme ces êtres inquiets en perdition qui, à l’instar d’Emma Bovary (Jennifer Jones dans Madame Bovary, 1949) de Dave Hirsch (Frank Sinatra dans Comme un torrent/Some Came Running, 1958) ou encore de Vincent Van Gogh (Kirk Douglas dans La Vie passionnée de Vincent Van Gogh/Lust for Life, 1956), cherchent un bonheur impossible et une sérénité inaccessible…




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